MILA  PARELY

Un charme venu d'ailleurs

 

Une grande dame auréolée d'un halo de mystère, d'étrange séduction, d'aristocratie, à l'évidence d'un charisme.  Une carrière à mi-chemin entre celle de Viviane Romance dont on aurait ôté la perversité et celle de l'ingénuité innocente d'Annabella.

Plus d'un demi-siècle après son retrait des plateaux, témoin d'une génération d'actrices, hélas, aujourd'hui révolue, son nom est toujours présent dans la mémoire des cinéphiles.  Personne n'a oublié son charme, personne n'a oublié son talent.

 

 

S

lave, d'origine polonaise, Mila Parely naît à Paris le 7 octobre 1917.  Ce jour-là, les cinémas de la capitale affichent Judex, un serial avant la lettre, avec René Cresté en justicier implacable, amoureux de la jeune et belle veuve Yvette Andreyor, laquelle est méchamment jalousée par l'intrigante Musidora.  Ah ! le cinéma de grand-papa !

 

Pour Mila, l'impérieux désir de jouer la comédie lui vient très tôt après avoir, dit-on,  rapidement écarté une première erreur d'orientation toute juvénile vers des études médicales.

C'est un ami de la famille qui lui permet d'accéder aux plateaux de cinéma désertés par Judex, devenus sonores depuis peu, et bien éloignés de tous les héros tressautant des débuts du cinématographe.

 

En 1932, aspirante actrice, elle figure dans Vive le sport un court métrage apparemment perdu par les cinémathèques.  Ensuite, elle effectue une timide apparition dans Le martyre de l'obèse qui est en fait celui du pauvre Berley.  Film suivi par Baby de Carl Lamac et Pierre Billon pour lesquels elle assume, si l'on peut dire,  le dernier rôle cité au générique !

 

Ses débuts au théâtre remontent aussi à cette époque. C'est à Bruxelles qu'elle les effectuent dans Lysistrata de Maurice Donnay.

 

L'année suivante, les studios allemands de Babelsberg et Adolphe Trotz, le réalisateur, la sollicitent pour L'amour qu'il faut aux femmes, mais c'est surtout avec le film suivant, Liliom, d'après la pièce du juif hongrois Ferenc Molnar qu'adapte Fritz Lang, qu'elle se fait remarquer, petite dactylo céleste, auprès du peu recommandable Charles Boyer.

 

C'est alors qu'elle surprend son entourage en décidant d'arrêter sa carrière pour six mois afin de consolider et de parfaire sa formation artistique aux USA au sein de l'école des studios Paramount.

De là, elle passe sur l'East coast et se produit au théâtre à Broadway dans Calling all stars de Spencer G. Bennett et Red car, une pièce moins connue.

 

Un spleen tout provisoire l'incite à rejoindre la mère patrie. 

 

Pour peu de temps, car elle  retraverse bien vite l'Atlantique. Elle réussit à convaincre Rudy Vallee, le célèbre chef d'orchestre, de ses dons vocaux et de participer à l'une de ses tournées à travers les states.

Hollywood, alertée et consciente d'avoir laissé s'échapper une actrice aussi prometteuse, la rappelle avec insistance en lui tendant un contrat en bonne et due forme. 

Mila refuse et décide de regagner la France, cette fois, définitivement.

 

Elle relance sa carrière française et tourne avec les plus doués et les plus chevronnés de nos réalisateurs et… nos plus talentueux interprètes.  Elle s'impose dans une quarantaine de films parmi lesquels Les jumeaux de Brighton, où elle apparaît toute menue auprès de cet immense et impressionnant bloc d'humanité qu'est Raimu et Le drame de Shanghai qu'elle anime en meneuse de revue non dépourvue de cruauté.

 

Longue, mince, la silhouette élégante, les yeux en amande au-dessus de pommettes fiévreuses, un regard lumineux qui vous chavire, jusque là on avait peu prêté attention à la jolie Mila.  Mais, une délicieuse métamorphose s'opère dès Circonstances atténuantes où, panthère vénéneuse, elle ensorcelle le couple vedette Michel Simon / Arletty; et puis, et surtout, dans La règle du jeu, le chef d'œuvre (l'un…des chefs d'œuvre !) de Jean Renoir où troublante à souhait elle tourne la tête de Dalio, son amant gominé,  mais aussi, semble-t-il, plus chastement celle de son génial réalisateur.

 

En 1942, maîtresse malveillante de Fernand Ledoux dans Le Lit à colonnes, d'après le roman de Louise de Vilmorin, elle rencontre Jean Marais qui en est à son onzième film et déjà installé comme le séducteur n°1 du cinéma français, celui qui caracole aux sommets de la popularité.  Une rencontre décisive empreinte d'infinie tendresse. 

L'on dit, mais que l'on dit-on pas, que succombant à son charme, à sa classe, à son élégance, notre Jeannot, éperdument  amoureux, tient absolument à l'épouser pour avoir un enfant d'elle.  A priori, deux postulats qui désorientent Jean Cocteau … comme le note finement Jean Delannoy.

Que s'est-il réellement passé ?  Les intéressés cultiveront bien leur secret.

Il n'empêche, chaque année, à chaque date anniversaire, les 7 octobre, Jean lui envoie une rose rouge. Chaque année, elles scellent une longue amitié, une relation-passion devenue platonique qui ne se termine qu'en 1998 avec le décès du comédien.

 

L'année suivante, après Le lit à colonnes, elle s'intègre aux Anges du péché de Bresson où, sortie de prison,  elle rejoint la communauté des sœurs de Béthanie.

 

Deux ans plus tard, en 1945, elle retrouve Marais et la caméra de Cocteau pour La belle et la bête où elle incarne la mauvaise sœur de la blonde et angélique Josette Day. Ses retrouvailles de cinéma avec Jean, dans un triple rôle dont celui de la bête qui se consume d'un amour impossible, font partie de ses meilleurs et plus tendres souvenirs.

 

Leurs chemins se séparent, le 30 avril 1947, Mila convole en justes noces à la mairie de Neuilly-sur-Seine.  L'heureux élu : Thomas Mathieson, dit Tasso, pilote automobile écossais pour les écuries Bugatti et Maserati qui brille sur les circuits européens, notamment aux "24 heures du Mans" avec Maurice Trintignant.

 

En 1952, elle rejoint Max Ophüls et les gracieuses pensionnaires de La maison Tellier pour Le plaisir où auprès de Madeleine Renaud, tenancière de la maison close, elle incarne Madame Raphaële, l'une de ses affriolantes protégées.

Elle décide qu'il s'agit-là de sa dernière participation pour le 7ème art alors qu'elle est, à trente-cinq ans, en pleine possession de son talent.

 

La raison en est fort simple, son mari est victime d'un très grave accident qui le contraint à mettre un terme à sa carrière.  Spontanément, sans état d'âme, Mila décide d'arrêter la sienne pour se consacrer entièrement à lui.

Après des séjours en Angleterre et au Portugal, le couple se fixe finalement et définitivement à Vichy où Mila réside encore aujourd'hui.

Elle s'occupe de donner vie au Pavillon Sévigné, ainsi qu'au Casino, en y organisant des rencontres culturelles et artistiques.

 

En 1956, avant que le cinéma ne connaisse ses premières syncopes, Henri Verneuil pense la convaincre de participer à son Paris Palace Hôtel, mais il doit, à la dernière minute, se résigner à la remplacer par Tilda Thamar.  Il faudra attendre 1989 pour que Daniel Vigne réussisse à la ramener au cinéma avec Comédie d'été pour laquelle il lui réserve le rôle d'une comtesse un tantinet réactionnaire.  Il faut reconnaître que le réalisateur, originaire de l'Allier, a fort opportunément planté ses caméras d'extérieurs dans les environs proches de Vichy, ceci facilitant en grande partie cela.

 

C'est cependant Bernard Stora qui la dirige pour l'ultime fois, et ce dans La grande dune,  un téléfilm tourné au Pyla avec Danièle Delorme et Bulle Ogier, en soeurs manipulées par l'inquiétant Niels Arestrup.

 

Mila fut dirigée à deux reprises par Jean Grémillon, l'un des plus exigeants metteurs en scène du cinéma français, qualifié de sobre, d'austère, voire de maudit. Elle s'en est parfaitement accommodée.  Et avec Duvivier, réputé lui aussi difficile.

 

Parfaitement éclectique, jamais prise en défaut de médiocrité, elle tourna tous les genres avec une aisance remarquable, que ce soit le mélodrame en épouse adultère dans Les Roquevillard, la comédie en ingénue pour Les pattes de mouche, le romantisme avec Rêves d'amour en prêtant ses traits et sa passion à George Sand, l'opérette avec les couplets de Véronique d'André Messager, et sans oublier la garce aguicheuse et fatale de Cap au large ou de Destins.

Elle a tout réussi.

 

Dès lors, quelle conclusion pouvons-nous tirer de cette énumération non exhaustive ?

Celle que nous souffle Michel Lonsdale à qui nous empruntons cette jolie profession de foi témoignée lors d'un hommage qu'il a tenu à rendre à Mila :

 

"Inoubliable Mila Parely… Merci d'avoir contribué à la beauté du cinéma français par votre présence inoubliable… Et par votre talent !" (extrait de l'hommage rendu par "Souvenance de cinéphiles"- Puget-Théniers -  août 2003)

 

Oui, infiniment merci.

 

 

FILMOGRAPHIE.

 

1932  Vive le sport, court métrage.

          Le martyre de l'obèse, de Pierre Chenal, avec André Berley. 

          Baby, de Carl Lamac et Pierre Billon, avec André Roanne.

1933  L'amour qu'il faut aux femmes, d'Adolf Trotz, avec Max Maxudian.

1934  Liliom, de Fritz Lang, avec Charles Boyer.

          Cartouche, de Jacques Daroy, avec Paul Lalloz.

          On a trouvé une femme nue, de Léo Joannon, avec Mireille Balin.

1935  La petite sauvage, de Jean de Limur, avec José Noguero.

          Valse royale, de Jean Grémillon, avec Henri Garat.

1936  Les jumeaux de Brighton, de Claude Heymann, avec Raimu.

          Mister Flow, de Robert Siodmak, avec Louis Jouvet.

          Les pattes de mouches, de Jean Grémillon, avec Pierre Brasseur.

1937  Donogoo, de Reinhold Schünzel et Henri Chomette, avec Raymond Rouleau.

          La tragédie impériale, de Marcel L'Herbier, avec Harry Baur.

1938  Le drame de Shanghai, de Georg Wilhelm Pabst, avec Louis Jouvet.

          Le monsieur de cinq heures, de Pierre Caron, avec André Lefaur.

          Remontons les Champs-Elysées, de et avec Sacha Guitry.

          La rue sans joie, d'André Hugon, avec Albert Préjean.

          Une java, de Claude Orval, avec Berval.

1939  La charrette fantôme, de Julien Duvivier, avec Pierre Larquey.

          Circonstances atténuantes, de Jean Boyer, avec Michel Simon.

          L'esclave blanche, de Marc Sorkin, avec John Loder.

          Le grand élan, de Christian-Jaque, avec Max Dearly.

          La règle du jeu, de Jean Renoir, avec Marcel Dalio.

1940  Elles étaient douze femmes, de Georges Lacombe, avec Gaby Morlay.

1942  A la belle frégate, d'Albert Valentin, avec René Dary.

          Le camion blanc, de Léo Joannon, avec Jules Berry.

          Cap au large, de Jean-Paul Paulin, avec Gérard Landry.

          Le lit à colonnes, de Roland Tual, avec Jean Marais.

          Monsieur des Lourdines, de Pierre de Hérain, avec Raymond Rouleau.

1943  Les anges du péché, de Robert Bresson, avec Renée Faure.

          Donne-moi tes yeux, de et avec Sacha Guitry.

          Les Roquevillard, de Jean Dréville, avec Charles Vanel.

          Tornavara, de Jean Dréville, avec Pierre Renoir.

1944  Le cavalier noir, de Gilles Grangier, avec Georges Guétary.

1945  Le père Serge, de Lucien Gasnier-Raymond, avec Jacques Dumesnil.

1945  La belle et la bête, de Jean Cocteau, avec Jean Marais.

          Etoile sans lumière, de Marcel Blistène, avec Edith Piaf.

          Jeux de femmes, de Maurice Cloche, avec Jacques Dumesnil.

1946  Dernier refuge, de Marc Maurette, avec Raymond Rouleau.

          Destins, de Richard Pottier, avec Tino Rossi.

          Rêves d'amour, de Christian Stengel, avec Pierre Richard-Willm.

1947  Snowbound, de David MacDonald, avec Dennis Price.

1949  Mission à Tanger, d'André Hunebelle, avec Raymond Rouleau.

          Véronique, de Robert Vernay, avec Jean Desailly.

1951  Le plaisir, sketch "La maison Tellier", de Max Ophüls, avec Madeleine Renaud.

1952  Blood orange, de Terence Fisher, avec Tom Conway.

1988  Comédie d'été, de Daniel Vigne, avec Jean-Claude Brialy.

1997  Projection au Majestic, court métrage d'Yves Kovacs.

 

 

© Yvan Foucart pour Les Gens du Cinéma (03/10/2007)